lundi 31 août 2015

" Comme un château défait " Lionel Ray

Ma maison fut quelquefois une brève lueur,
le jaillissement subit de l'oiseau
dans l'instant immense.
Ma maison fut bâtie de paroles
par des mains invisibles.
Toi qui en es le centre, la table et la fenêtre,
entre la fin et le commencement,
que vois-tu ? qui es-tu ?
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Il y a toutes sortes de vies dans ta vie

et toutes sortes de mots dans tes mots,
mais qu'est-ce à la fin que ce brouillard ?
Même la lampe des morts s'éteint,
il n'y a plus où ils sont de langage.
Qu'est-ce à la fin que cette nuit
d'où tu viens, et cette nuit finale
où ni les mots ni les morts ne font signe ?
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Comme on glisse hors de soi
aux confins de la veille et du songe,
on regarde une autre demeure, un corps chantant.
Qui est cet homme proche de toi
si peu semblable et pourtant ressemblant,
Dans le tumulte des soifs et des mondes,
broyant le grain des paroles,
cherchant la source brève, la présence sans nom ?
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Monde errant sont les paroles,
forêt en marche sous le vent oblique
avec dispersion d'oiseaux.
En elles, le temps se dépose
comme une encre invisible.
La nuit descend dans ta voix,
tend le cou vers l'aurore
au-dessus des décombres.
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Tu parles aussi pour toi hors du temps
dans ce grand désordre couleur d'ivresse
des routes des heures des paysages.
Tu parles parmi les ombres finales de la nuit
au bord de l'inimaginable absence.
Tu ne dis rien, tu es en proie à toi-même,
tu cherches la place d'être
un autre ou personne.
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Tu construis une ville visible 
avec des voyelles pour fenêtres,

des tunnels soudains, des pages de sable.
Les mots sont des chambres où la nuit
repose, mère du monde.
Ce que tu dis et ce que tu vois
ont même vêtement, même présence,
dans le jour inconnu.
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Dans la géométrie du soleil mobile,
ailes ouvertes sur tant de plaines,
de décombres et de scintillements,
Tu t'éloignes et te rejoins,
tu te rassembles,
Tu es toi-même chaque mot que tu dis
et chacun te conduit en ce lieu
où tu es plus toi-même que toi.
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Ces poèmes de Lionel Ray sont extraits d'un livre intitulé " Comme un château défait ", 1993 , éditions Gallimard.  Les photos sont de Fernand Bignon ( autour de 1925 )

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