mardi 28 février 2017

La vie d'une sorcière au Moyen-âge -3/4-

Niveau II de sorcellerie ( celui condamné par les inquisiteurs...)

Notre sorcière, peut faire un pas supplémentaire … pour '' d'autres '' pouvoirs... Pouvoirs qu’elles obtiennent d'un pacte, explicite ou tacite, qu'elles passent avec le Diable.

Quand le Malin choisit une sorcière, il lui apparaît généralement, pour ne point l'effrayer, sous la forme d'un beau jeune homme au doux nom: Joli, Joli Cœur, Verdelet etc. Mais il arrive parfois que certaines sorcières se proposent elles-mêmes au Malin. Pour cela, l'aspirante se doit de soumettre une requête au démon, qui l'examine soigneusement afin de s'assurer qu'elle est bien pourvue de toutes les capacités nécessaires à faire le mal. Lorsque la sorcière craint de rencontrer Satan en personne, elle peut demander à rejoindre la confrérie par l'intermédiaire d'une autre sorcière, elle-même vicaire du démon.
La sorcière abjure alors son baptême et sa foi chrétienne et se retire de l’obéissance de Dieu, répudie le patronage de la bien heureuse Vierge Marie, laquelle, par dérision impie, est appelée la rousse. Elle promet ensuite de renier la Croix ainsi que les images de la bien heureuse Vierge Marie et d’autres saints dès qu'elle en trouverait l'occasion. Elle s'oblige, par serment solennel, à être perpétuellement fidèle et soumise, obéissantes à toutes les demandes du diable.
Puis, touchant les Écritures, à savoir un grand livre ayant des pages noires et obscures, elle prête serment de vasselage éternel, jurant qu’elle ne retournera jamais en la foi du Christ ni et ne suivra plus jamais les divins commandements, mais se montrera obéissante à ceux qu’il plairait au Prince de décréter. Elle affirme que toujours et sans retard elle viendra aux jeux des assemblées nocturnes quand elle sera requise, et qu'elle agira comme les autres sorcières, assistant à leurs sacrifices et communiant à leurs prières et adorations; qu’elle observera ses vœux du mieux qu’elle le pourra et s’efforcera d’amener autrui en la même croyance. En échange le Prince des Démons promet à la sorcière novice une perpétuelle félicité et des joies immenses, toutes les voluptés qu'elle désirera en ce monde et en l’autre des jouissances plus grandes qu’il se pouvait imaginer.
Satan oblige ensuite la sorcière à se rebaptiser au nom du Diable. Elle doit prendre un autre nom et renoncer au premier et il confirme ce nouveau nom en lui gravant le front de ses ongles en un signe baptismal. La novice doit ensuite renoncer à ses parrains et marraines du baptême et de la confirmation et de nouveaux lui sont assignés.

La sorcière prête serment au démon en un cercle gravé en terre. Elle demande à être rayée du livre de vie et Satan l'inscrit dans le livre de mort....

La sorcière doit ensuite promettre des sacrifices, jurant d’occire magiquement chaque mois, voire chaque quinzaine, un petit enfant en lui suçant le sang. Elle reconnaît également devoir payer quelque impôt une fois l'an, et son tribut se devait d'être de couleur noire.
Satan lui appose alors sa marque à l'aide de l'ongle de son petit doigt ou de ses cornes. Les hommes sont poinçonnés entre les lèvres, sur la paupière, sur l'épaule droite, sur les lèvres ou dans le fondement, et les femmes sont signées sur la cuisse, sur les seins, à l'aisselle, à l’œil gauche ou sur les parties secrètes. La marque a souvent l'apparence d'un lièvre, d'une patte de crapaud ou d'un chat noir. Quelques fois, elle ressemble à un petit chien noir. Cependant, pour des raisons inconnues, toutes les sorcières ne sont pas marquées. On appelait cette marque la Marque du Diable.

Enfin, pour clore cette cérémonie, la nouvelle recrue jure ensuite de ne jamais adorer l'Eucharistie, d'injurier la Vierge et les Saints, de briser et conspuer les saintes reliques tant qu'elle le pourra, de ne jamais se servir d'eau bénite, ni de cierges consacrés, de ne jamais faire de confession entière de tous ses péchés et, surtout, de garder silence sempiternel sur son commerce avec le Diable.
En guise de soumission, les sorcières se trouvent dans l'obligation d'avoir des relations charnelles avec le démon. C'est une étape obligatoire, quelle que soit la catégorie sociale à laquelle elles appartiennent; Il est commun à toutes de se livrer à des turpitudes charnelles avec le démon ;. Quant à la jouissance éventuelle que procure cette copulation, elle ne semble pas être très prisée des sorcières: de leur point de vue c'est une formalité nécessaire, mais plutôt désagréable.

Selon le '' Malleus Maleficarum ''; les sorcières sont sexuellement dans une servitude repoussante et misérable. Si elles se donnent au démon, c'est plus pour assouvir leur haine, leur vanité et leur soif de puissance que pour obtenir un plaisir des sens.. Pour le plaisir, elles préfèrent les hommes, qu'elles séduisent et tiennent à leur merci ...

Lors de leurs relations avec le diable, les sorcières peuvent concevoir des enfants plus puissants que les autres hommes car les démons savent quelles caractéristiques adapter à leurs œuvres. Ces conceptions ne sont cependant pas le fruit de la semence diabolique: le Diable n'a pas reçu de Dieu le pouvoir d'engendrer mais il emprunte la forme d'un démon succube qui prend la semence d'un homme scélérat, et la transmet à un autre qui se fait l'incube de la sorcière. C'était ainsi qu'elles assuraient leur multiplication.


samedi 25 février 2017

La vie d'une sorcière au Moyen-âge -2/4-

Continuons à comprendre ce que fait la sorcière :
Bien sûr, elle assure son irresponsabilité dans tout envoûtement ou autre manifestation relevant du mauvais sort, de la magie... C'est toujours ''une autre, loin '', qui est responsable d'un accident ou d'un drame.
Elle, la sorcière, n'est là que pour « déshanter » une maison, un animal, un champ, un concitoyen ou encore un outil. On finit par comprendre que la sorcière est indispensable à la vie d'un ''païs'' comme un mal nécessaire mais inquiétant.
La sorcière ( ou le sorcier) sait battre l'eau d'une source ou d'une fontaine avec une baguette de coudrier pelée '' à l'ongle '', c'est-à-dire pure de tout fer, « pour faire tomber la grêle dans la direction indiquée par la baguette ». Il peut obtenir le même résultat en égorgeant une poule noire au milieu d'un carrefour et en la jetant en l'air. Le bec ensanglanté de la pauvre bête a la même fonction que la baguette.
La sorcière sait pratiquer l'envoûtement à distance. C'est pourquoi on brûle avec grand soin rognures d'ongles et cheveux tombés des ciseaux après les grands nettoyages saisonniers. Celui du printemps, le plus important, celui du coeur de l'été et le dernier fin septembre pour la foire de Saint-Michel, qui draine des dizaines de cantons et de seigneuries vers les grandes cités pourvues d'un mail et d'un tribunal qui se déplace parfois pour l'occasion : Limoges...
Personne ne perd de vue qu'une rognure d'ongle et une pincée de cheveux sournoisement glissées dans une poupée de glaise ou de cire, dûment chargée de formules secrètes, permettent de torturer à distance la victime, qui souffre mille morts lorsque l'opérateur enfonce une aiguille aux endroits voulus dans la poupée.

Le sorcier sait également utiliser le pouvoir du '' chevillage '' les cas sont innombrables en Saintonge -, c'est à dire enfoncer une cheville ou un éclat de bois dans une fente de porte, de poteau ou dans un nœud de bois ayant quelque ressemblance avec le sujet visé. Il peut lui faire endurer mille tourments avant de trouver la '' cheville '' responsable. Évidemment ce n'est pas lui qui cheville tel ou tel, il ne fait que trouver l'objet du délit, parfois minuscule, placé par '' l'autre , là-bas '', et ce n'est déjà pas facile.
Mais enfin, moyennant une juste récompense... Parfois le chevillage est bénéfique. Un homme qui a l'âme '' chevillée '' au corps guérit de tout, survit à toutes les blessures.
En usant de cette expression, plus personne ne se doute aujourd'hui qu'elle fait référence à la sorcellerie la plus élaborée.
Il sait également évoquer, créer même, un loup-garou... ce peut être un enfant enlevé ou perdu par ses parents dans les bois et élevé par une quelconque nourrice, femme, louve, chèvre ou vache, pourvu qu'elle ait du lait '' bénit '' par le sorcier. Dès qu'il sait courir, il chasse avec les loups, les fouines ou les chiens. Il s'en prend aux hommes égarés ou attardés la nuit.
Par chez nous, on le nomme '' lo leberou ''. Les marchands du Poitou le nomme '' Ganipote ''… et chez eux, se montre souvent farceur, obligeant un homme à le ramener jusqu'à son antre ou sa cachette en le portant sur ses épaules, ce qui ne l'empêche pas d'égorger une victime lorsqu'il a faim. Il dort volontiers dans un buisson de sainbois ; c'est une variété de daphné aux tiges raides et particulièrement urticantes. ( Dans la pharmacopée du XIXe siècle, on l'utilise comme vésicatoire). Le leberou ou loup-garou, peut être, dit-on, un(e) apprenti sorcier qui prétendait l'être, mais a raté le test élaboré par le diable... Le leberou terrorise les longues nuits paysannes. Une des particularités de cette '' bête '' sauvage, c'est d'infliger des blessures qui sèchent aussitôt sur les bords mais mettent trois saisons à guérir.

La sorcière que l'on est appelé à rencontrer dans les lieux écartés, non loin des villages, n'est pas forcément contrefaite. Elle peut être très belle, et en dehors de cette lueur inquiétante et sauvage au fond de leur regard cette marque indélébile de l'exclusion, elles peuvent être aussi séduisantes que les autres jeunes filles...
Il arrive que grâce à sa beauté naturelle ou gagnée par les soins de sa maîtresse, une jeune sorcière séduise et épouse un haut personnage. Si la sorcière est vieille, elle possède de grandes facilités pour se transformer de vieille harpie en une flamboyante beauté, mais seulement pour un temps assez court, qui doit correspondre à celui d'efficacité des lotions qu'elle sait composer avec les herbes et plantes dont elle possède une vaste connaissance.
La sorcière ne connaît pas que cela. C'est la reine du « nouage ». Elle sait « nouer l'aiguillette » (rendre impuissant) au juste moment où l'effet est le plus surprenant, le plus efficace, le mariage. En particulier lorsqu'un riche barbon '' marie '' une jeunesse - les mauvaises langues disent : « l'achète ».
Faut-il préciser que le dénouage d'aiguillette ne s'exécute que par personne interposée, en l'occurrence la sorcière elle-même, pour ôter ce sort venu de plus loin, plus fort -c'est une opération longue et, chère...
Notre sorcière sait aussi composer des philtres d'amour, c'est-à-dire des juleps où l'on trouve mêlés de la fleur de belladone, du venin de vipère, de la cervelle de pigeon et des crottes de lapin pilées avec de la menthe sauvage et sans doute d'autres choses aussi...

La sorcière est aussi experte à nouer et dénouer la « boyasse ». Entendez déclencher une diarrhée carabinée chez sa victime, généralement préteurs, exempts, petits hommes de loi. 
Elle connaît la formule de la « louhade », cette pâte souveraine contre la morsure des loups dont la composition est connue de toutes les campagnes mais que seules savent mitonner « celles-là qui savent ».
Chiendent, chiendent et menthe sauvage
Tilleul, sauge et genêt blanc
Gras d'mouton au feu en rage
Et saulnie quand tout est blanc.


La saulnie, c'est le bleu du fromage de vache charançonné, du bleu d'Auvergne, de la fourme ou du roquefort... Bien refroidi, bleui, on en fait une pâte souple, sorte de galette dont on enveloppe la morsure. C'est parfait.

mercredi 22 février 2017

La vie d'une sorcière au Moyen-âge -1/4-

La sorcière ( ou le sorcier) si elle est d'une communauté paysanne, a pu commencer par être une gêne, une honte de la famille parce qu'elle est ''tord'', bossue, ou pied-bot... ou hors-norme... La jeune fille devient rusée, pour éviter les ricanements, les coups... Et, c'est de la sorcière qu'elle est tentée de se rapprocher ...
La sorcière est aussi l'objet d'un rejet des autres habitants. Elle est parfois une rescapée d'un massacre avec incendie et pillage où elle a tout perdu, enfants, mari, famille, maison, tout. Catastrophes qui l'ont laissée « un peu fêlée sous l'bonnet ». Elle commence par faire peur aux villageois qui ne la reconnaissent pas, traînant avec elle les stigmates du malheur. Les gens angoissés la chassent au bois ou au désert, la traitant de sorcière.
Certaines peuvent réussir, si l'on peut dire... Un peu d'or vient « récompenser » l'interminable recherche des plantes, les litanies nocturnes, l'acharnement à nuire, les sacrifices de bêtes innocentes. De quoi faire choir, parfois, n'importe quelle raison.. Et, ne plus quitter le monde du mystère.

Ceux qui s'approchent des secrets liés aux envoûtements graves et aux sacrifices se coupent d'eux-mêmes du monde villageois. Ils font peur. Cela devient leur raison d'être. Ils s'écartent des villages, des hameaux, et finissent par former une sorte de société où s'établit une hiérarchie instinctive.

La première mention en français de la sorcière apparaît au milieu du XIe siècle, dans le Roman d'Éneas (1060). Avant l’an 1000, sous les Carolingiens, on qualifie ces femmes, qui manipulent des herbes et que l’on soupçonne d’ensorceler, d’herbariae,  de sortiariae, de fascinatrices, d’enchanteresses, de stryges ou de femmes maléfiques.
Le portrait type de la sorcière y a été forgé avec les éléments présents dans l’imaginaire médiéval, et en premier lieu, le vol des sorcières. Cette idée du transport par les airs est une croyance antique attestée et relayée dans le Malleus Maleficarum (  le Marteau des Sorcières, manuel publié en 1486 par Heinrich Kramer pour répondre à toutes les questions des juges en matière de sorcellerie.)

Ainsi, pendant des siècles, les sorcières furent assimilées aux guérisseurs et aux devins. Les maladies, les tempêtes, les famines, étaient perçues comme des phénomènes surnaturels sur lesquels les sorcières possédaient une certaine emprise. On les disait également capables de voler la nuit, de se transformer en animal et il était admis qu'elles se rassemblaient régulièrement autour du Diable, à l'occasion de diverses célébrations. Ces femmes étaient craintes et leurs supposés pouvoirs attisaient la méfiance et les jalousies. Alors, les sorcières furent proclamées ennemies du genre humain et chacun se crut en droit de les faire mourir.


Mais aux alentours de 1300, nous n'en sommes pas encore là...
Pour l'Eglise, la sorcière est déjà passée sous l'influence du Diable, mais pas vraiment sous le statut d'hérétique... Ce qui lui donnera prochainement droit aux procès d'inquisition...
Craintes par les villageois, elles se font discrètes Malgré tout, la plupart des villageois fait appel à leurs services. Elles font des incantations, des dessins dits « magiques » pour compléter leurs remèdes ou pour servir à invoquer les forces du mal... La sorcière est recherchée puis jugée avant d’être punie, d’abord légèrement. Les conditions de vie sont dures et le Diable est tenu pour responsable.
A noter quelque chose d'intéressant :
A propos du transport au sabbat, le Canon Episcopi, datant de 906 est très clair : le vol des sorcières est une invention, une affabulation ou un rêve qu’il ne faut pas prendre au sérieux, tout comme la participation effective au sabbat. Par contre, pour la plupart des théoriciens de la chasse aux sorcières du XVIe siècle, le sabbat existe bel et bien ! En 1451, des femmes se déplacent à califourchon sur leur outil de ménage. "Le champion des dames", d'un certain Martin le Franc, est un manuscrit que l'on qualifierait aujourd'hui de pseudo-scientifique. Selon l'ouvrage, les sorcières vaudoises volent vraiment dans les airs !

Le Christianisme transforme aussi progressivement la sorcellerie. Les formules se christianisent; on fait appel aux Saints et à la Vierge pour faciliter les opérations magiques. (Claude Lecouteux, “Le livre des grimoires”)  

dimanche 19 février 2017

Dame Margot – Leberou - et la forêt de Laron.

Voici un autre récit, de la mort de Marguerite de Laron : le point commun est la nature diabolique de cette femme. Nous verrons cependant, qu'il existe des histoires, ou Dame Magot partage la nature bienveillante des fées ...

On dit la châtelaine et épouse du seigneur de Laron, très belle et son époux très amoureux d'elle. Mais Dame Margot, sous ses abords avenants, est - dit-on – une créature femelle d'une essence diabolique. C'est elle qui commande au château, mène les domestiques, dirige les gens d'armes. Le seigneur de Laron, rongé sans-doute par quelque culpabilité et par les souvenirs d'un passé templier dont il vaut mieux – en ces années - ne pas se vanter ; partage avec cette femme qui le fascine, une relation tempétueuse ; et leurs disputes puis leur retrouvailles sont tonitruantes...
Roger de Laron, a remarqué, que chaque dimanche, la belle disparaît avant la messe, se rend invisible à tous, sans donner d'explication à quiconque, même à lui. Chaque fois qu'il essaie de lui demander raison de sa curieuse absence dominicale, elle se met à l'accuser de ne pas l'aimer, de se méfier d'elle …
Roger de Laron, avec les richesses qui ne lui manquent pas, fait fructifier  – pour son salut et celui de sa lignée - un prieuré avec quelques frères et un chapelain installé près de la fontaine Saint-Laurent, au bas de ce qu'on appelle aujourd'hui le Mont-Larron. Geoffroy , le jeune et saint prieur entend régulièrement, les plaintes des villageois, écoute leurs récits où il n'est question que d'exactions, de bêtes égorgées, de loups-garous et d'autres diableries.
Dame Margot, n'apprécie pas ce saint voisinage. Malgré les remontrances de son époux, elle refuse toute aide aux moines. On dit qu'elle se livre, dans la tour magne du château, à des manigances secrètes. L'on murmure bientôt que la dame de Laron y concocte philtres et sortilèges. Mais on dit tant de choses...
On a dit que les religieux perdent leur ferveur.. Peu à peu, malgré la pieuse présence du prieur... L'esprit maléfique de la forêt reprend le dessus. Étrangement... Les religieux – malgré les sévères semonces du prieur - perdent leur ferveur, délaissent leur règle très stricte et succombent aux multiples tentations que leur envoie Dame Margot. Les nuits de pleine lune, on en aurait vu forniquer avec de belles sorcières. Ils s'enivrent du vin qui coule dit-on subitement à la fontaine du monastère à la place de son eau pure. Certains moines, s'étant mêlés sans pudeur au sabbat d'enfer que de jolies succubes mènent dans les clairières les plus retirées de la forêt. Il paraît que de nouveaux démons seraient nés de ces étreintes ; ainsi, des ''manjasang'' et des esprits malfaisants se seraient multipliés et repeupleraient la forêt, alors que les moines les en avaient sanctifiée et purgée.

Pour conjurer le mauvais sort et ces pratiques sataniques, le prieur Geoffroy souhaite construire une chapelle, au cœur de la forêt de Laron... Mais les matériaux manquent. Les bois appartiennent au seigneur, mais Dame Margot s'oppose à ce que l'on donne le bois nécessaire à la construction de l'édifice …
Roger de Laron refusant donc de donner à Geoffroy le bois nécessaire à la construction de son édifice ; le moine décide de le convaincre de l'aider.
Un jour que Roger de Laron doit chasser en forêt, Geoffroy se rend sur un chantier d'abattage, où des bûcherons s'activent. Geoffroy leur demande l'hospitalité et, en échange, les prie de lui prêter une cognée afin de les seconder dans leur rude travail. La meute du seigneur surgit, poursuivant un magnifique cerf, et passe fièrement devant les bûcherons émerveillés.
Roger de Laron reconnaît parmi eux le moine. Mécontent de le trouver ici, il stoppe le cortège et vient l'accuser de dévaster ses bois et de venir troubler la chasse. Devant l'assemblée des chasseurs et des bûcherons, Geoffroy ne perd pas son calme. Il reproche au seigneur, sa dureté envers ses sujets, ses ''dérèglements'' passés, et sa passion coupable pour une ''sorcière''... !
Le saint moine ose même le menacer de la vengeance du ciel s'il ne se confesse pas de tous ses péchés. Furieux de cette diatribe, Roger de Laron fait rappeler sa meute et ses piqueurs, bien décidé à effrayer et s'amuser de ce clerc insolent...
Mais, les chiens viennent entourer et se coucher aux pieds de Robert... Puis, le cerf lui-même, surgit pour la seconde fois dans la clairière, il arrête sa course et vient également s'agenouiller aux pieds du ''saint prieur''.... Le plus profond silence s'établit...
Stupéfait par cette scène miraculeuse, Roger de Laron se prosterne à son tour devant le saint moine, et lui demande humblement comment il peut racheter ses fautes.
Geoffroy bénit le chevalier et lui dit:
- Messire! Dieu ne veut pas la mort du pécheur. Il vous prie simplement de nous aider de vos deniers à bâtir une chapelle consacrée à Marie, mère de Jésus. Et, pour votre pénitence, vous viendrez chaque année faire jeune et retraite durant trois jours en ce lieu...
Pour marquer à tout jamais ce lieu d'une protection divine, il frappa le sol et une fontaine se forma et coule toujours...
Les deux photos représentent le lieu des fermes du moyen âge, Saint Julien aux Bois ( Corrèze) 



Enragée par la construction de la chapelle qu'elle réprouvait, Dame Margot décide de faire un exemple dans la contrée.
Elle réunit ses hommes d'armes, et chevauchant à leur tête, elle exécute une opération punitive contre ses sujets. Elle saccage quelques hameaux des alentours et bat à mort ceux des manants qui tentent de résister.
Rentrée au château, ses proches terrifiés la félicitent de sa vaillance et de son courage... Pourtant, l'une de ses jeunes demoiselles de compagnie, lui reproche sa férocité.
Margot se met en colère ; outrée que ce soit sa favorite qui la morigène ainsi, elle se met fort en colère, bat sa jolie suivante et la jette dans le puits du château... ! Mais... Elle regrette aussitôt ce mouvement d'humeur. Comme elle aime beaucoup sa jeune suivante, elle veut la sauver et ordonne qu'on la tire de là. Hélas, on ne lui remonte qu'un cadavre.

Inconsolable, Dame Margot s'enferme trois jours durant dans son appartement de la tour magne, sans accepter de nourriture, ni ouvrir la porte à quiconque.
Dimanche arrive sans que la dame du seigneur de Laron ne réapparaisse ou donne signe de vie. Fort inquiet, son époux décide d'aller rejoindre sa femme par une voie détournée. Il se fait hisser jusqu'au sommet de la tour et, pénètre secrètement par les greniers, dans le refuge de son épouse.
Par une lucarne donnant sur sa chambre, Roger voit sa dame, toujours aussi belle, malgré sa douleur, se mirer dans une glace, la poitrine nue jusqu'à la taille. Mais il s'aperçoit avec horreur que son corps s’achève en forme de loup-garou...
Trahie, son terrible secret découvert, elle court se réfugier dans la forêt... Roger n'a qu'à la suivre ; Lui et la ''louve'' se dirigent vers l'endroit même où ils se sont rencontrés … A l'endroit, où se trouve à présent la chapelle de Dom Geoffroy.
Roger va traquer ''la bête'', jusqu'à sa mort...Étrangement, c'est le corps d'une femme, que l'on va retrouver entouré de la meute ; et c'est le corps de Dame Margot qui sera veillé dans cette chapelle... Nous retrouvons ainsi dans cette version de la mort de Dame Margot, les même éléments que la fin d'une histoire précédente

Bien sûr, on raconte aussi que depuis, âme damnée et inconsolable, Dame Margot erre autour de son ancien château, apparaissant parfois au voyageur attardé sous l'aspect d'une belle femme nue perchée sur les branches d'un arbre … La nuit, elle se transforme en loup-garou...

Je vous raconterai, un peu plus tard, l'histoire de Robin, bossu et musicien, qui s'était endormi en plein bois près du château de Laron.. Et, qui a eu le privilège de confondre '' Dame Margot '' dans une autre nature, plus bienveillante …

A suivre …

jeudi 16 février 2017

Marguerite de Laron, et les sorcières, en Limousin -2/.-

Dans le quotidien, d'une âme de Saint-Julien-près-de-Laron, tout peut être ''signe'' magique...
Un tailleur ou une couturière est paniqué lorsqu'une aiguille ( Les aiguilles en métal ont été perfectionnées par les Maures en Espagne au XIème siècle ) tombée par mégarde a la pointe tournée vers elle...
Une malédiction connue rapporte que : « Si l'on trouve trois œufs de poule noire dans un champ, rien n'y poussera pendant trois ans. » Comment peut-on savoir qu'il s'agit d'une poule noire ? Mystère. Une fille qui marche par inadvertance sur la queue du chat ne se mariera pas avant plusieurs années.
D'ailleurs qui nous dit (c'est un exemple) qu'une salamandre dérangée de sous une pierre, plus un morceau d'écorce sombre en forme d'éclair, un bout de mue d'une grande couleuvre, une coquille d'escargot et puis une racine de mandragore (solanacée de la famille européenne de la pomme de terre) dans un renfoncement de talus de trois pas ne constituent pas une phrase en très bonne grammaire dans le langage inconnu d'un monde qui, pour nous, ne l'est pas moins ?


Toute la campagne, autour du Château de Laron, vit sans terreur excessive le voisinage du « yab » (diable) et ses manigances...

Par exemple, du côté de Laron, et en Limousin, on se méfie du'' Chenaton'', on ne sait ni d'où il vient ni où il se rend ni ce qu'il veut. Il passe dans la nuit comme une ombre blanche et s'évapore entre deux touffes de genêt. On considère qu'il s'agit d'une '' démonstrance '', une manifestation du diable, ou d'un mort réincarné, ou autres ...

Il faut se méfier du 'Drac'. Il est malin comme un singe, toujours prêt à faire des facéties qui n'amusent que lui. Par exemple: il pénètre de nuit dans une étable, par le fenestrou, affole les bêtes, noue la crinière du cheval. Pas facile ensuite de la dénouer ! Aujourd'hui, on dirait que c'est un troll ..

Connaissez-vous : '' la Torna '' ? 
On raconte qu'une femme traversait la rivière à gué pour aller voir son amant, lequel avait été décapité par le seigneur du lieu ( un ancêtre de Roger de Laron …?) ; ce serait elle, la torna. Plusieurs témoins l'ont rencontrée, se sont lancés à sa poursuite, mais chaque fois elle a disparu dans la forêt. Elle peut avoir deux mètres de haut (sans la tête ?) et vole au ras des pâquerettes plus qu'elle ne galope. Mais qui a été décapité? La femme, l'amant ou tous les deux ? On ne sait pas bien ....

Le ''leberou'' terrorise les longues nuits paysannes. Souvent, il représente une personne frappée de malédiction, condamnée à ne plus dormir dans son lit, et à errer à travers la campagne.. Elle est revêtue d'une peau de bête ( renard, chèvre, loup...), . S'il n'est pas foncièrement mauvais – il se régale à sauter sur les épaules du passant(e), et à se faire porter à sa guise, où bon lui semble. Mais, la figure médiévale du Loup-garou est beaucoup plus terrifiante.. ( en 1588, Arline de Barioux fut brûlée vive sur la grand-place de Riom (Auvergne). On l'accusait de se transformer en loup tous les vendredis après-midi afin de dévorer les enfants..)



Je ne sais pas, bien sûr, quelles histoires – avec Dame Margot - ont commencé par se répandre dans la population.
Sans doute des rumeurs comme celle-ci :

- On aurait surpris Dame Margot, en train d'aller chercher des ossements, à minuit, au cimetière... Magiques sont les os d'un enfant mort-né - ou ce qui longtemps fut équivalent, enterré avant d'avoir été baptisé. Ces restes donnent le pouvoir d'être invisible... Et, on ne compte plus les braves gens, qui ont été '' visités '' la nuit sans apercevoir aucune personne !

Après le dernier récit, où La Dame de Laron ne serait que l'incarnation du Diable, voici une autre histoire qui témoigne d'une nature différente , mais tout aussi diabolique …

Illustrations de Liiga Klavina
A suivre ...

lundi 13 février 2017

Marguerite de Laron, et les sorcières, en Limousin -1/.-

Précédemment, je vous ai retranscrit, l'histoire de la rencontre et du mariage entre Roger de Laron, et sa femme. Ceux qui colportaient cette histoire, tenaient à voir en Marguerite de Laron, le diable en personne … La plupart des gens d'ici, s'accordaient plutôt à voir en '' Dame Margot '' une sorcière ; et d'autres plus bienveillants : une fée … Qu'en est-il ?

Roger de Laron,vécut, sept années, avec une femme qu'il n'imaginait pas être le diable... Elle était aussi belle qu'une fée, aussi plaisamment humaine qu'un homme puisse espérer, et aucune autre qualité espérée ne lui manquait … Si la Dame de Laron séduisait tant de monde, beaucoup ne trouvaient pas la chose si naturelle... 

D'ailleurs bien vite, quelques histoires, faisaient état de l'infidélité de celle que l'on nommait ''Margot'': Marguerite de Laron n’apparaît dans aucun registre ou n'est citée par aucun témoin de ce début du XIVe siècle, cependant très vite les commérages, les témoignages, puis les légendes vont concerner la belle Dame de Laron … 
Il est intéressant de noter la correspondance entre ' Marguerite ' et 'Morgane' ( associée au paganisme et à la magie)... Morgane, ayant été à la fois christianisée en sainte Marguerite ( représentée piétinant un dragon..), et diabolisée puisque nombre de femmes appelées de ce nom, et pour ce seul motif, furent brûlées par l'Inquisition comme sorcière. A noter encore, le nom de Gargan : dieu celte à relier au Mont Gargan dans le Limousin.

Le Diable, n'était pas loin ; puisque la plupart des récits autour de Marguerite de Laron, la reconnaissent comme sorcière.
Aussi, il me semble intéressant de se remettre dans l'ambiance de - ce que l'on nomme - le Moyen-âge, pour se représenter ce que pouvait être une sorcière...

Aux alentours de 1300, la pratique d'une ''magie populaire'' est courante, elle est plutôt le fait de femmes du peuple... Leurs recettes se transmettent de bouche à oreille, de mère en fille, et permettent de soigner les maladies mais aussi de désenvoûter ou d'éloigner le mauvais œil. Par exemple, chacun ici sait que pour être garanti de la fièvre pendant un an, on préconise de manger « à la cuiller un œuf pondu le jour du Vendredi Saint, à jeun, et surtout sans pain ni sel ». On utilise aussi l'armoise pour contrer l'effet des sortilèges, mais il faut pour cela qu'elle ait trempé pendant trois jours dans l'urine d'une fille vierge de seize ans.

La grande reine Aliénor, celle-là même qui vint à Limoges, pour faire sacrer son fils Richard, duc d'Aquitaine, était accompagnée en permanence de femmes qui lui préparaient toutes les médecines, qu'elle avait elle-même étudiées lors de la croisade quand elle accompagnait Louis VII. On raconte que le roi avait peur de ses connaissances.... !
Au roi d'Angleterre, Aliénor, donne cinq fils et deux filles ; mais Henri II finit par trouver une ''maîtresse'', moins maîtresse d'elle-même... Aliénor, toujours aussi belle et 'magi-strale', mais déjà assignée à résidence pour quelques foucades soignées, est transférée au château de Woodstock où séjourne Rosamonde Clifflord, la maîtresse préférée de son mari... Étrangement, Rosemonde meurt empoisonnée, et Aliénor reste 'enfermée' jusqu'à la mort de son mari ; avant de revenir en Aquitaine …

Vers la fin du XIIIe siècle, la présence de plusieurs alchimistes est avérée dans la Vicomté. L'un bien connu : Omer Bernard cherche durant des années la pierre philosophale pour l'éventuel bénéfice d'un comte d'Angoulême....A Poitiers Éthélius Bragancé ou Bougrancier prétend faire de l'or pour le trésorier du comte, selon l'historien américain Robert Wohl.
Un serviteur de la maison de Louis VII, toujours fidèle à son ancienne maîtresse Aliénor, lui apporte le premier ambix de Poitiers ( alambic) où on en parle comme d'une « bouilloire d'Orient ...

Bien sûr, les pratiques 'magiques' n’empêchent pas la pratique chrétienne, mais pour aller voir son confesseur, il est de bon ton d'ôter ses amulettes ou de les remplacer par des reliques ou médailles pieuses.

A suivre ... 
Illustrations de Liiga Klavina 

dimanche 12 février 2017

Décès de Claude Geffré, théologien du pluralisme religieux

J'apprends le décès de Claude Geffré. Sa réflexion, et la lecture de plusieurs de ses ouvrages, ont porté ma réflexion et ma foi en Jésus-Christ.

Claude Geffré s’est éteint ce jeudi 9 février à l’âge de 91 ans. Il fut l’un des théologiens français de l’après concile les plus en vue. Dominicain né à Niort (Deux-Sèvres), est entré dans l’Ordre en 1948,

Après Vatican II, le théologien estime qu'il ne peut plus se concentrer sur la défense des dogmes, mais qu'il doit passer à « l’âge herméneutique », cette science de l’interprétation des textes. Autrement dit, recueillir la signification de l’Écriture et la traduire dans le contexte contemporain. Il conçoit alors sa tâche comme « celle d’une sorte de médiateur entre la foi de l’Église et l’expérience historique des hommes et des femmes », écrit-il.

Claude Geffré est un des pionniers du dialogue interreligieux

Sans transiger sur ce qui fait la spécificité du christianisme, et donc sans rechercher de syncrétisme religieux... Claude Geffré, en pionnier, cherche à concilier l’unique médiation du Christ avec le pluralisme des religions.

Il reconnaît dans les religions non chrétiennes, des voies qui méritent d'être prises au sérieux,
 * dans leur « leur différence irréductible » :- il ne s'agit pas de récupérer leur langage, leur symbolisme ...etc,
** dans leur « altérité »' c'est à dire que ce sont des voies originales et différentes de la nôtre ; et pourtant – en Christ - , ce sont d’authentiques « voies de salut ».


« Si beaucoup d’hommes et de femmes sont sauvés en Jésus-Christ, ce n’est pas en dépit de leur appartenance à telle tradition religieuse, mais en elle et à travers elle », avance Claude Geffré qui par ailleurs fut directeur de l’École biblique et archéologique de Jérusalem (1996-1999), membre de la Conférence mondiale des religions et du Groupe de recherche islamo-chrétien.

vendredi 10 février 2017

La mort et le cimetière au Moyen-âge.

A partir du XIIe siècle, l'Eglise amène à elle le cimetière... Elle tient à s'opposer à la tradition antique de séparer le monde des morts de celui des vivants. Ce que l'on appelle le '' suffrage pour les défunts '' est largement exploité alors... Au Moyen Âge, le purgatoire est symboliquement illustré comme étant un lieu de feu purificateur... Le culte des saints est lié à cette pratique des suffrages en faveur des morts. ... Les donations se font nombreuses, pour s’assurer un passage au purgatoire... Il faut donner pour le salut de son âme …
Le clergé et la noblesse, sont inhumés à l'intérieur de l'Eglise, et la population tient à l'être au plus près … On connaît la volonté d’être inhumé au plus près des murs de l’église, sous le larmier du toit, afin que l’eau de pluie sanctifiée par le contact avec le lieu sanctifie à son tour la tombe. 
Le christianisme ne semble préoccuper que par l'âme du défunt, les rites plus anciens ou coutumiers s'occupent des corps, pour les aider à passer et les empêcher de revenir tourmenter les vivants … Seuls le corps des saints fait l'objet de vénération et de célébration ; de plus ils peuvent intercéder pour les morts. Les moines deviennent de véritables spécialistes, et intermédiaires obligés, pour le salut. Cluny ( vers 1030) , invente une fête annuelle de tous les défunts, le 2 novembre.
« Les morts étaient au centre de la vie, comme le cimetière au centre du village. » Jean-Claude Schmitt
Les croyances païennes restent prégnantes, le roi des morts '' Hellequin '' règne sur une horde de chevaliers damnés et guette au détour des chemins, le passant... Les récits de revenants se développent ; ce sont en général des fantômes de personnes qui ont succombé violemment..


Au cimetière de La Jonchère ( voir l'histoire de la Loba)
Les morts sont enveloppés dans un linceul, la mise en terre dans un simple drap (linceul) blanc et cousu. La mise en terre se fait ainsi sans cercueil durant plusieurs siècles. Les défunts reposent dans des fosses en pleine terre, au niveau de la tête, sur la tombe marquée y est fichée une simple croix de bois. Les ossements, exhumés à l'occasion de nouvelles inhumations (le cimetière ne pouvant s’étendre plus à cause des habitations, et tous voulant être au plus prés de l’église sanctuaire), sont déposés dans la crypte de l'église (pour les « notables ») ou dans des ossuaires bâtis dans l’enceinte même du cimetière.

Certaines tombes plus riches peuvent comporter des pierres tombales qui servent, semble-t-il, de marque de surface dans le cimetière tout en se distinguant des autres tombes plus simples du peuple. On émet l’hypothèse que la nouvelle eschatologie de l’église, la création de l’enfer et ses revenants est pour beaucoup dans la mise en place de ces lourdes dalles de pierre, pour empêcher le mort de ressortir…
C'est donc, à partir du XIIème siècle qu'apparaît l'habitude de recouvrir les tombes de dalles, lesquelles réservées aux morts respectables, moines en particulier, sont souvent massives, parfois en forme de toit comme on le voit au Chalard. Sur certains de ces "toits" dits en bâtière sont même sculptées des ardoises ou des lauzes. Puis au XVème siècle, certaines de ces tombes pourront comporter une croix et seront pourvues pour les laïcs, d'une inscription voire d'un portrait.
Les classes aisées se font enfouir dans les églises. Très rapidement, à cause des émanations pestilentielles, un nouveau système d’enfouissement est mis en place. Deux solutions sont utilisées :
- Le corps du défunt est mis en terre dans le cimetière, puis ses restes sont recueillis et placés dans l’église sous une dalle funéraire.
- Le corps du défunt est placé dans un pourrissoir (sorte de sarcophage avec un trou d’évacuation), puis ses restes sont enfouis dans l’église sous une dalle funéraire. Il existait même des pourrissoirs collectifs.
Dans l’ancien cimetière de La Jonchère, (d’après les Abbés Lecler et Pailler et les écrits du Sieur De Valeize), il y avait une chapelle octogonale toute en pierres (vers l’actuelle entrée) détruite lors de la révolution.
Les ossements sont mis dans une crypte par un oculus dans le sol, en attente du jugement dernier et de la résurrection des corps. Un escalier permet de descendre pour ranger les ossements.



Au XIIIème siècle se généralise le cercueil en bois et la tradition de placer au cou du mort, ou plutôt à ses mains croisées, un chapelet, et aussi de l'accompagner d'une pièce sensée payer le passage de l'Archéron, ainsi que d'un vase d'eau bénite pour le protéger des mauvais esprit et faciliter son accès auprès du très haut.

mardi 7 février 2017

Histoire de sorcière : La 'Loba' de Laron. -2/2-

Quand il arrive, un grand feu flambe dans l'âtre et il trouve réunies dans la chambre plusieurs habitantes du village, silencieuses et affairées,en train de faire chauffer des couvertures et de préparer une décoction de plantes dont elles espèrent que l'effet sera salutaire.
Les braves femmes l'entourent quand il entre dans la pièce où se trouve la femme alitée et lui fournissent quelques explications en prenant soin de chuchoter.
« Elle a pris froid, et elle est vieille et fragile », dit l'une d'elles en voulant repousser l'intrus vers la porte. Mais il l'écarte et s'approche du lit où gît la malade, dont le corps décharné se devine à peine sous les couvertures. Son visage livide est creusé par la souffrance et elle a les yeux fermés.
« Alors, comment vous sentez-vous, créature du diable:» demanda le ''Chasseur des collines '' à la vieille mère. Elle ne répond pas, et ses voisines s'agitent d'un air irrité autour de lui, comme des poules inquiètes protégeant quelque poussin fragile. Mais l'homme arrache les draps, dénudant le corps de la vieille femme, pour leur montrer les marques sanglantes faites par les crocs de ses chiens, et il leur raconte toute l'histoire.

Quand il a terminé, la malade prend la parole d'une voix faible et avoue le pacte qu'elle avait conclu et le mal qu'elle a fait. Elle sent venir la mort et sait que son ''maître aux pieds fourchus'' s'apprête à venir réclamer son dû.
« Il vous reste encore une voie de salut », dit le chasseur. Il la lui révèle, puis, ayant fait son devoir, il se retire. Les commères du village lui emboîtent le pas, tout effrayées, laissant seule la sorcière à l'article de la mort.

La suite de l'histoire est racontée par deux pèlerins voyageurs qui, cette nuit-là, viennent de '' La Junchéra '' en passant par Saint-Léonard, et rejoignent, précisément les terres de Roger de Laron ( nous reparlerons de cette visite…). Les deux hommes se hâtent en tenant le milieu du chemin.

« Arrêtons-nous un instant », fait soudain l'un d'eux. Ils font halte, et entendent assez loin devant eux, à travers le battement de la pluie sur le feuillage, une plainte déchirante. Et sur le sentier, parmi les ombres nocturnes, apparaît la silhouette d'une femme vêtue de noir, les cheveux trempés et maculés de sang. L'air effrayé, elle hésite un instant en parvenant à leur hauteur, scrutant leurs visages, le souffle haletant et claquant violemment des dents.
« C'est bien le chemin qui mène au cimetière de la Junchéra? », demande-t-elle enfin.
« Oui », répond l'un des deux hommes, et ils se retournent pour regarder l'inconnue qui, les ayant croisés sans ajouter un mot, se hâte péniblement en jetant de fréquents regards derrière elle. Elle arrive sur la crête d'une colline et disparaît à leurs yeux.

Impressionnés, les deux voyageurs se remettent en route d'un pas plus rapide qu'avant.
Mais, au bout d'un moment, ils font de nouveau halte sur le bord du chemin. Venant vers eux à vive allure, voici qu’apparaissent deux grands lévriers noirs. Ils paraissaient suivre une piste. Ils passent devant les deux hommes en leur accordant à peine un simple coup d’œil, et ayant suivi le chemin jusqu'au sommet de la colline, ils disparaissent à leur tour.
Avant que les voyageurs n'aient pu faire un geste, surgit un cavalier monté sur un cheval noir. Il s'arrête à leur hauteur et ils voient deux yeux de braise dans l'ombre du capuchon dissimulant ses traits, tandis que leur parvient une odeur infecte.
« Est-ce là le chemin menant au cimetière de la Junchéra, demande l'inconnu d'une voix douce."
« Oui »
« Et une femme ne vous a-t-elle pas croisés il n'y a pas longtemps ?»
«  Si. »
Le cavalier éperonne sa monture, qui repart au galop en direction de la crête.
Cette fois, les deux hommes, oubliant leur fatigue, se remettent en route en toute hâte. Ils sont trop effrayés pour parler ou pour prêter attention à quoi que ce soit.

Le cimetière de la Junchéra d'où viennent les voyageurs, est réputé dans toute la région. Il est à deux petits jours de marche, peut-être un seul à cheval, du fief de Laron …
Après Saint-Martial de Limoges, on dit que c'est la plus importante église de l'évêque, que celle de La Junchéra. Il y existe d'ailleurs une « maison des romeux » (pèlerins), aux Marmiers... Le 23 avril 1305, le pape Clément V (!) , venant de Bourges et se rendant à Bordeaux, via Grandmont, a fait halte à La Junchéra, fief de l’évêque Raynaud de La Porte.
C'est un lieu d'asile pour les vivants, comme l'est toute terre consacrée. Mais, depuis des siècles il jouit d'un singulier privilège, il constitue un refuge et une sauvegarde pour tous les morts récents. Toute âme, quelque noire qu'elle soit, qui vient de quitter son enveloppe charnelle, se trouve dans son enceinte à l'abri des griffes de Satan. C'est pourquoi – lorsque c'est possible - on y transporte directement les agonisants...

Deux heures se sont écoulées, sans que les deux hommes se soient accordé un instant de répit, quand ils entendent derrière eux le cavalier et ses lévriers...
L'inconnu s'arrête à leur hauteur et leur dit d'un ton satisfait : «  Elle était juste a la porte. Un jeu d'enfants pour les chiens. »
Jeté tel un pantin désarticulé en travers de sa selle, ses cheveux blancs traînant clans la boue, il y avait le corps de la sorcière, la ' loba', couvert de sang et l'échine brisée.
Enfin, arrivés, et avant de rejoindre le château de Laron, les voyageurs content la chose aux gens de Laron, où on les écoute avec soulagement. Si le corps leur était resté, ils auraient du l'enterrer profondément, retourné sur le ventre, de sorte que si le cadavre s'était remis à creuser comme cela arrivait parfois, il aurait foui vers le cœur de la terre et non vers l'air libre.


Le Chasseur des collines a rejoint son repaire dans la forêt. Il ne se passe plus de nuit désormais où il n'écoute siffler le vent et ne scrute les ombres se découpant sur le disque lunaire, redoutant à tout instant la vindicte des sœurs en sorcellerie de la ''loba''.

samedi 4 février 2017

Histoire de sorcière: la 'Loba' de Laron. -1/2-

A ''notre époque'' ( celle de Roger de Laron, début XIVe s.), les sorcières ne sont pas encore pourchassées, puis tuées... Mais, déjà de nombreuses histoires mettent en scène les maléfices dont elles peuvent être capable ; en particulier quand certains hommes se sont mis en tête de s’acharner contre elles. 
Ici, dans notre vallée de la Maulde, les quelques maisons, bicoques, se blottissent entre elles, l’église, un peu à l'écart, car seuls les morts ont le privilège de la côtoyer pour toujours … Autour de cette clairière habitée, le village est entourée de collines boisées et de forets... Sur une hauteur, le château n'est pas véritablement un signe rassurant...
Chacun, ici, sait que la forêt est un lieu dangereux, à la peur du loup s'ajoute celle des brigands et l'inquiétude suscitée par les travailleurs de la forêt, bûcherons ou charbonniers, considérés comme des marginaux. Et précisément, deux d'entre eux, qui par nécessité, chassent les loups ont le projet de s'en prendre à une vielle femme isolée: '' La Loba ''...
Ils sont persuadés que cette cette femme, en plus de ses dons de jeteuse de sorts, ''gouverneraient'' les loups : elle serait une ''meneuse de loups''... C'est logique, le loup est associé au mal, et parfois certains hommes ou femmes se font ''leberous'', pour se rendre au sabbat ( j'en reparlerai ...)

De ces deux bûcherons et chasseurs, le premier s'appelle ' Gros-Jean'. Ce jour d'hiver, il dit vouloir profiter du beau temps, et part chasser...
On n'a plus revu Gros-Jean, vivant... Dès la fin de cette journée, le temps s'est gâté, le mauvais temps s'est installé ; et on a entendu les loups...

Le soir de ce même jour, le deuxième homme qui voue donc aux sorcières une haine tenace, se trouve seul dans sa cabane des bois, habitation de bois assez confortable tout de même, pour posséder une cheminée. Il est assis là devant le grand feu avec à ses côtés ses deux chiens, tandis que la pluie crépite contre la fenêtre et que le vent se lamente...
Soudain, la porte s'ouvre. Le chasseur voit sur le seuil un chat plutôt mal en point, la fourrure trempée, tout maigre et tout tremblant.
Les chiens se dressent sur leurs pattes en grondant. Ils n'en feraient qu'une bouchée si leur maître ne les retenaient pas … On surnomme l'homme : ''le chasseur des collines'' de par son activité où il excelle …
Plus tard, il expliquera qu'il avait arrêté ces chiens parce que le chat s'était mis à parler, et lui demandait une faveur qu'il ne pouvait refuser....
- C'est ainsi que l'on raconte cette histoire par ici à la veillée...

La bête – à la belle voix de jeune femme – explique qu'elle est une jeune sorcière qui décide de renoncer à ses maléfices, et qu'elle demande protection contre la fureur vengeresse de ses pareilles...
L'homme fait entrer le chat, qui s'assoit devant l’âtre tandis qu'il réfléchit. Mais, l'animal semble tout à fait innocent. Il se lèche soigneusement, et son poil retrouve son lustre. Puis il s'installe commodément, étirant ses griffes et enroulant sa queue autour de son corps, et se met à ronronner d'aise. Les chiens s'agitent nerveusement, mais le laissent tranquille …

Engourdi par la chaleur et bercé par le ronronnement du chat, le chasseur finit par s'assoupir. Dehors la pluie continue de faire rage. A un moment donné l'homme ouvre les yeux, les chiens se dressent en grondant et leur poil se hérisse.
Le chat a disparu. A la place se tient souriant d'un air placide, une habitante du village connue de tous, qu'on appelle la ' loba' ; celle là même que nos deux hommes désignent comme une meneuse de loups !
« Tu es un homme facile à duper, chasseur, dit-elle. Ton ami 'Gros-Jean', l'ennemi des sorcières, est mort aujourd'hui. Il gît par cinq coudées de terre, m'ont dit mes sœurs, et les vers le dévorent... A présent, c'est ton tour. »

Elle lui saute à la gorge, toutes griffes dehors et les yeux luisant de rage. Mais les chiens sont plus rapides. Ils la terrassent.
Et pendant quelques minutes une terrible mêlée oppose les bêtes grondantes et la femme saignant sous les morsures, tandis qu'elle leur déchire le ventre de ses ongles aigus. Puis c'est le silence, entrecoupé seulement par les gémissements des bêtes blessées et les battements d'ailes d'une corneille au-dehors. La ''chatte'' s'est évanouie, et les chiens halètent, couchés sur le flanc.

Le chasseur vient raconter la scène au village le lendemain, le visage hagard, en portant les corps de ses chiens. Il apprend que '' la loba'' est clouée au lit, et que les gens du village craignent pour sa vie.
Sans mot dire, il sort et se dirige d'un pas rapide vers la maison un peu à l'écart où vit la femme...

A suivre …


mercredi 1 février 2017

Le Diable au Moyen-âge -2/2-

Bien évidemment, quand Satan se présente devant des mortels, il prend grand soin de masquer sa véritable identité, dissimulant autant que possible sa démoniaque nature ( pieds fourchus …) sous des vêtements.
Le Diable peut également, au gré de ses caprices, prendre l'apparence de divers animaux : chats, lèvres, corbeaux..
Le Malin connaît toutes les ruses du déguisement et du masque et quand il veut séduire, il emprunte ( dit-on) à la femme tous ses artifices. Ainsi paré, il tente fréquemment d'inciter au péché prêtres et moines, qui sont pour lui des proies de choix.

Au Moyen-âge, Satan, toujours à l'affût d'une âme à pervertir, apparaît dès qu'il entend son nom aussi prend-on garde à ne jamais le nommer véritablement. Pour éviter une visite indésirable, on le surnomme de diverses manières: Le Malin, l'Ennemi, le grand Bouc, le Cornu, le Vilain, etc.. En Limousin, on le nomme Lucifer, Cifer, l'Aversier, la Bête-Bourrue...

Le Diable aime à transgresser les règles établies et courir les fêtes. Parfois, quand les réjouissances se terminent après minuit, Satan s'invite et, sous la forme d'un bel homme, il charme les jeunes filles. Fort heureusement, les hommes, qui se méfient inévitablement d'un étranger aussi séduisant, remarquent vite ses pieds fourchus et préviennent ces demoiselles. Sitôt démasqué, Satan disparaît dans un nuage de fumée, laissant derrière lui une odeur de souffre ou, s'il refuse de partir, il peut se faire exorciser.
Les personnes qui aiment les plaisirs faciles et y cèdent sans vergogne ont également ses faveurs car leurs âmes se trouvent tout naturellement propices à écouter ses paroles doucereuses. Au XIIIe siècle, Ranulphe de la Houblonnière dresse la liste des péchés réputés attirer le démon: l'orgueil, la colère, l'envie, l'avarice, la luxure et la gourmandise.

À son corps défendant, Satan a son utilité. Ainsi, une fille qui tombe enceinte peut prétexter un viol par le diable. Au Moyen Âge, on partait d'incubes et de succubes. 
Le Malin a ses territoires de prédilection : un moulin, un rocher, une cavité dans la roche, un fauteuil, une simple pierre... En Limousin, on compte des dizaines de rochers qui gardent la trace du Diable, , sans compter les ponts qu'il aurait aidé à construire...

A la demande de ses sujets, Satan peut les transformer en loups-garous, déchaîner des orages, exciter des tempêtes ou faire tomber la grêle et la foudre. Il est également capable de causer un sommeil profond, plonger en extase, révéler des événements lointains ou à venir, rendre un homme invulnérable, lui donner la capacité de se rendre invisible, le transporter dans les airs, faire disparaître des objets, soit en condensant d'épaisses vapeurs, soit en les enlevant subtilement, rendre malade, tantôt en altérant l'organisme, tantôt en transportant des miasmes contagieux, et même guérir, ce qu'il fait très rarement, le bien n'étant pas son fort, sauf pour parvenir à ses fins ...

Le moyen le plus courant pour empêcher Satan de pénétrer dans une maison est de placer une croix de paille sur la porte d'entrée.. Brûler des branches de genévrier au nouvel an est également supposé la protéger.

Pour obliger le Diable à quitter un corps qu'il possède, il existe diverses méthodes dont certaines ne nécessitent pas l'intervention de l’Église. L'une d'entre elles consiste à rouer de coups le possédé ou à lui infliger divers sévices cruels afin d'inciter le démon à partir. Les amulettes peuvent également constituer de véritables moyens d'exorcisme, agissant d'elles-mêmes par la seule vertu de leur consécration ou des formules qui s'y trouvent inscrites....