mardi 19 mai 2015

Poésie et Parole Evangélique -2/2-

La poésie nous aide à nous recentrer sur nous-mêmes ; et nous fait craindre de prendre notre rêve pour de la ''vérité'', et nous tromper, nous laisser prendre à des illusions... Pourtant ces mots, Y Bonnefoy nous invite à les garder, mais à les travailler, à les interroger ….
Yves Bonnefoy
« (…) notre écriture devient le matériau d’une réflexion dont l’intention est de clarifier ce que nous sommes, de délivrer le Je profond des modes d’être du moi que lui substitue en nous la pensée conceptualisée, analytique. La poésie, en pratique, est cette recherche au sein de son propre texte. Et une recherche qui, à mon sens, est mieux placée pour se diriger vers son but que la réflexion philosophique, car elle porte sur des événements d’existence auquel ne peut accéder la généralité du philoso­phique. Et quant à la spiritualité, elle a tout à gagner à cette lecture de soi qui veut se défaire des illusions. La poésie tend à déconstruire les mythes qui l’entravent. » Y. B.


- Ce que l'on peut craindre, du poète … c'est de préférer l'esthétisme à la Vérité … ?
« La part esthétique, dans le poème, c'est l'occasion qui deviendrait la faute si on lui sacrifiait la vérité » Y. B.


- La poésie est-elle une forme de pensée ?
La poésie « n'est nullement une forme de la pensée, avec comme toute pensée un souci de la vérité. Non, la poésie n'est pas, dans la profondeur des poèmes, la formulation, soit directement conceptuelle, soit symbolique ou allégorique, d'une vérité de la vie ou de l'être au monde. Et elle n'est même pas la sorte d'écriture qui permettrait de dire mieux que les autres les pensées de notre vie quotidienne. Il y a bien des pensées, dans les poèmes, c'est l'évidence même, et souvent des pensées de grande portée, mais ce sont là des pensées propres au poème, à son auteur, non ce que voudrait le poétique en son être à lui. »


- La poésie est-elle le creuset d'une recherche d'absolu ? « Le langage, c'est assurément pour communiquer, et la parole, cela porte alors de la signification, de la signification conceptuelle, mais la poésie, c'est pour rendre aux mots - dont cet emploi conceptuel prive qui s'y prête d'avoir plein rapport aux choses, disons l'arbre en toutes ses branches, toutes ses feuilles, et en sa place ici, maintenant, à ce détour du chemin - cette capacité de susciter des présences que la signification, et sa pensée, abolissent. Et que fait-elle, alors, la poésie ? Elle tente de réveiller ces présences dormantes sous les concepts, ce qui nous rend présents à nous-mêmes, qui alors ne sommes plus dans l'espace de la matière mais dans un lieu, elle substitue ce lieu au dehors du monde, elle fait de ce dehors une terre. La poésie n'est pas un dire, mais un déblaiement, une instauration. En cela le même silence que dans le maçon d'autrefois qui triait les pierres, les soupesait, les rapprochait les unes des autres dans la courbe du mur s'orientant vers la clef de voûte. »  interview dans l’Express le 22/11/2010

Dans son essai sur Balthus (L'Improbable, 40) Yves Bonnefoy écrit : "Nous sommes des Occidentaux et cela ne se renie pas. Nous avons mangé de l'arbre de science, et cela ne se renie pas. Et loin de rêver d'une guérison de ce que nous sommes, c'est dans notre intellectualité définitive qu'il faut réinventer la présence qui est salut."

La poésie spirituelle peut-être le fruit d'une contemplation du monde, une forme de prière ; elle témoigne de la transcendance ou de l'immanence du divin ...

O poésie,

Je ne puis m'empêcher de te nommer

Par ton nom que l'on n'aime plus parmi ceux qui errent

Aujourd'hui dans les ruines de la parole. […]

(…)

Je sais que tu seras, même de nuit (…)

La première parole après le long silence,

Le premier feu à prendre au bas du monde mort. »



Yves Bonnefoy - Les Planches courbes (2001)

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