jeudi 5 mars 2015

Éloge de la dette

Nathalie Sarthou-Lajus, est philosophe et rédactrice en chef adjointe de la revue jésuite ''études''.

Extraits d'un entretien paru dans ''la Croix'', vendredi 27 févr.
La philosophe insiste ici, sur le versant positif de la Dette.

« La dette est ambivalente, comme tout lien humain. Le versant négatif – la dette impayable parce qu’illimitée – est le plus connu. »
Elle dit avoir été marquée par «  La Généalogie de la morale, où Nietzsche évoque une économie primitive de type créanciers-débiteurs, à l’origine de la conscience morale. Dans cette genèse, il montre comment le sentiment de dette a permis la naissance de « l’homme responsable », qui sait compter et sur lequel on peut compter.
Là où, pour Nietzsche, intervient une perversion, c’est lorsque la dette devient illimitée, et se transforme par un processus d’intériorisation en sentiment infini de culpabilité. La dette impayable parce qu’illimitée entraîne une perte de liberté. C’est la double peine : la dette se double du fardeau de la culpabilité. Nietzsche rappelle que le terme allemand « Schuld » signifie à la fois « dette » et « faute »

« La dette nous renvoie à notre histoire, et en premier lieu à notre creuset familial où nous avons commencé par recevoir, avant de pouvoir donner à notre tour. La dette fait de nous des héritiers et rend possible la transmission de la vie. Garder la mémoire de ses origines n’empêche pas l’émergence d’une histoire personnelle. C’est faire acte de reconnaissance, rendre hommage à ceux qui nous ont précédé et soutenu. »

- Saint-Paul dit : « N’ayez entre vous que la dette de l’amour mutuel » (Rm, 13, 8) ?
N. S.-L. : « La seule dette féconde est celle qui nous place dans cette dynamique du recevoir et du donner. L’accomplissement de l’amour est dans la réciprocité. Aimer, ce n’est pas seulement donner. Ou plus précisément pour donner, il faut commencer par savoir recevoir. »

- La ''remise de dettes'' :
« La remise de dette peut signifier son annulation pure et simple. C’est dans une certaine mesure le sens du pardon. On n’oublie pas le passé, mais on efface la dette. C’est parfois la seule façon d’enrayer la violence, de guérir les blessures du corps social, d’assurer la transition des régimes, de renouveler la vie en société. Cependant, il existe des cas où la dette est inépuisable et cela n’empêche pas la continuation de la vie, au contraire. Certaines dettes ne sont pas à payer, simplement à reconnaître. C’est alors une marque de civilisation et d’humanité qui permet d’éviter l’arrogance de la bonne conscience. »


« ..(..) si l’Allemagne a pu relancer sa croissance à la fin du deuxième conflit mondial, c’est parce que certains pays ont renoncé à une forme de dédommagement. Aucun peuple ne peut se présenter comme l’unique créancier ou débiteur, parce que les créanciers d’aujourd’hui ont été les débiteurs d’hier. Les Grecs nous rappellent une forme de dette mutuelle. »

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