vendredi 17 avril 2015

Le regard fait l'image - Duane Michals

Duane Michals

Né en 1932 à McKeesport, Pennsylvanie (US) 
Vit et travaille à New York (US)



Comprendre l’art de Duane Michals nécessite de connaître ses origines. Ses parents tchèques (comme ceux de Warhol, son contemporain) lui transmettent très tôt la foi catholique tempérée toutefois par la magie et le mystère de la culture d’une Europe centrale fascinée par le non-sens. Autre fait marquant, son prénom est inspiré de celui du fils de la maison dans laquelle sa mère est employée. Ce modèle, cet éponyme riche mais jamais rencontré, va le marquer d’autant plus qu’il restera lointain et mystérieux (il se suicidera lors de sa première année d’université). Son obsession du double, sa fascination pour la mort, pour tout ce qui atteste des relations intimes dans un groupe ou une famille vient sans doute de là. À partir de 1966, il développe un travail photographique où la narration résulte de courtes séquences d’images mises ensembles. En 1974, ces séquences simples sont complétées de courtes sentences directement manuscrites sur le tirage. Ces œuvres appartiennent à ce registre particulier où l’irrationnel teinté d’une indéniable poésie construit d’étranges récits qui finalement interrogent la définition d’une identité humaine à l’heure de sa reproduction mécanisée.


Parmi ces premières séquences, on trouve une sorte de parabole, intitulée Le Paradis retrouvé (ci-dessous). Datée de 1968, elle se compose de six photographies, numérotées par l'artiste, de 1 à 6. De la première à la dernière, on retrouve le même cadre et les mêmes personnages, qui vont cependant subir une série de modifications. L'espace type d'un bureau, ainsi que les vêtements des deux personnages, sont donc les seuls éléments qui vont être modifiés au cours du temps. La pose des modèles reste identique, à l'exception de la position des mains de la figure masculine, qui varie dans les quatre dernières images. En suivant l'évolution de cette séquence, on assiste à la transformation de l'espace du bureau, progressivement envahi par la végétation, tandis que les modèles se trouvent peu à peu dépouillés de leurs vêtements.

Duane Michals, Paradise regained, 1968 
(Copyright Duane Michals, Courtesy Pace/MacGill Gallery, New York)
Le processus décrit ici dénote un retour à la nature ou, plutôt, l'envahissement par celle-ci d'un lieu de civilisation. Cette dite "civilisation" est en effet symbolisée par l'un de ses aspects à la fois les plus banals et les plus formatés: le lieu de travail, en l'occurrence un bureau. Cet espace fonctionnel, offrant un cadre et des outils standardisés, permet au photographe d'aborder la question de la condition de l'homme face au travail. Travail qui détermine non seulement son statut social, mais aussi ses relations aux autres. Le rapport de la figure masculine, présentée assise à l'avant-plan, à la jeune femme qui se tient debout, en retrait, illustre bien la notion de subordination hiérarchique, généralement présente dans le monde du travail.

On pourrait épiloguer longuement sur les thèmes abordés par cette séquence. Si l'on s'en tient à son titre, Paradise regained (Le Paradis retrouvé), ainsi qu'aux seuls éléments dénotés, ce qui est avant tout exprimé est un retour à l'état de nature, illustré par la végétation abondante et la nudité des personnages, et assimilé au paradis. L'expression de paradis retrouvé est également l'antithèse du "paradis perdu", titre du célèbre poème de John Milton, Paradise Lost, dans lequel le paradis correspond à la délivrance de l'humanité par la religion.


Cette séquence, qui figure donc parmi les premières réalisées par le photographe, présente toute une série de caractéristiques, que l'on retrouvera régulièrement dans les oeuvres à venir: la référence à la religion et à l'au-delà, ou encore l'évocation de textes littéraires; la méthodologie mise en oeuvre, consistant à travailler dans des lieux existants plutôt qu'avec des décors, en lumière naturelle et en noir et blanc, de même qu'avec des modèles qui sont le plus souvent des acteurs. L'effet de surprise engendré par le déroulement inattendu d'une action, redoublé par le fait que cette action est plus souvent subie par les personnages, plutôt que déterminée par eux, est aussi un élément récurrent, qui fait souvent en sorte que le spectateur a le sentiment d'assister à une scène à la frontière entre réel et irréel.


source: http://www.imageandnarrative.be/

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