Roger Bacon est un moine
franciscain né en Angleterre en 1214 à Ilchester dans le comté de
Somerset, élève d'Albert le grand, et alchimiste.
Non conformiste, Bacon s'attaque à
toute autorité, autant à celle de l'Eglise, qu'à celle des
philosophes, tels qu'Aristote...
C'est un grand expérimentateur
scientifique ; et à cette époque, il ne trouve rien de mieux
que d'entrer dans les ordres, pour continuer l'étude...
Pour Bacon, « aucun discours
ne peut donner la certitude, tout repose sur l'expérience »
On a retrouvé dans ses écrits, des
considérations étonnantes relatives à des voitures sans chevaux,
des machines volantes, des bateaux pouvant naviguer sous l'eau...etc
Le maître
général des Franciscains, Jérôme d'Ascoli (qui sera le
pape Nicolas IV en 1288), le condamne vers novembre 1277 et
interdit son œuvre chez les franciscains. Il fait de la prison entre
1277 et 1279 et meurt à Oxford le 11 juin 1294.
De 1295 à 1310, la législation des
franciscains interdit les livres d'alchimie et de magie...
Les visiteurs de Bacon racontent qu'il
vit dans un véritable capharnaüm, même si le vieux savant déniche
avec rapidité l'ouvrage désiré parmi l'amoncellement des volumes
ouverts...
Il est si vif et si précis dans ses
gestes qu'il parait se livrer à quelque tour de passe-passe, et cela
n'a fait qu'alimenter les rumeurs relatives à ses travaux et à ses
pouvoirs qui se sont répandues dans les milieux savants, d'Oxford à
Paris et jusqu'à Bologne
Bien qu'il soit franciscain, et de ce
fait peu suspect de se livrer à des œuvres impies, la rumeur
l'accuse de sorcellerie. On prétend même que le roi lui-même
aurait assisté à des opérations magiques, et on en précisait les
circonstances...
Un jour, alors que Bacon travaillait
dans son laboratoire, on avait frappé à sa porte, et il avait vu
entrer un jeune homme ayant fort bon air, dont le surcot s'ornait du
blason des Plantagenêt et dont les chaussures aux extrémités
ridiculement pointues sacrifiaient à la mode du temps.
Le messager avait jeté un regard
dédaigneux sur la pièce encombrée qui sentait le renfermé, puis
il avait annoncé sèchement à Bacon que le roi Edouard, se trouvant
en visite chez un gentilhomme du voisinage, désirait assister à une
démonstration des pouvoirs du savant moine.
Celui-ci ne pouvait que déférer au
désir royal, mais il dit au page avant que celui-ci ne sorte: «Je
partirai d'ici après vous, mais j'arriverai deux heures avant. »
Comme la distance à parcourir était
d'une bonne lieue et que la paisible mule du moine ne pouvait se
mesurer au fringant destrier du messager, le jeune homme eut un
haussement d'épaules.
« Autre choser, ajouta Bacon avec un
sourire malicieux. Je peux vous dire le nom de la jeune fille avec
qui vous avez passé la nuit. Mais je le ferai un peu plus tard ».
Le messager répliqua que tous les
savants étaient des menteurs et il se retira. Bacon sourit, prononça
une formule magique, et en un laps de temps très bref il se présenta
au château ou résidait le roi.
Celui-ci l'accueillit aimablement,
vanta son savoir et lui demanda un aperçu de ses pouvoirs de
magicien. Tout d'abord Bacon se récusa avec modestie, disant qu'il y
en avait de plus puissants que lui. Puis il se déclara prêt, en
humble sujet du roi, à lui apporter la preuve de ses modestes
talents.
Il tira une baguette de coudrier des
replis de ses vêtements. Le roi, la reine, les seigneurs et les
dames de la cour firent cercle autour de lui pour le voir opérer.
Bacon leva sa baguette. Des pierres des
murs et des dalles du sol, de la trame des tapisseries et des poutres
du plafond parut irradier une mélodie envoûtante tenant du
cantique, de l'aubade et de la sérénade, une cascade de sons
harmonieux qui étaient un enchantement pour l'oreille et dont
l'harmonie ravissait le cœur. C'était un écho de la musique des
sphères, du chant émanant des astres dans leur course immuable. Il
remplissait l'espace. Les murmures s'étaient tus.
Tout le monde avait fait silence, Puis
le son diminua d'intensité, et Bacon dit : « Ceci était pour
l'agrément de l'ouïe de Vos Seigneuries. Voici à présent pour les
autres sens. » Il leva de nouveau sa baguette.
La musique changea de caractère et
prit le rythme allègre propre aux danses villageoises.
Cinq personnages apparurent au centre
de la salle, d'abord évanescents comme des ombres, puis de plus en
plus nets. Quand ils furent entièrement matérialisés, ils
formaient un contraste frappant d' un bouffon de cour et une
blanchisseuse dansèrent une gigue, tandis qu'un bossu portant la
calotte et la robe noires de l'usurier se mit à agacer l'assistance.
Un valet sortit du néant, un sourire
sarcastique aux lèvres, ses chausses faisant des plis sur ses jambes
maigres. Il repoussa l'usurier vers un gros chevalier portant
moustache et d'une élégance voyante.
Cependant, l'apparence des danseurs se
modifia peu à peu. Ils perdirent leur air arrogant, vaniteux et
grotesque, leurs corps se redressèrent, et la maladresse de leur
maintien se changea en élégance et en agilité Ils se mirent à
virevolter, sauter comme des dauphins joueurs, légers comme des
oiseaux sillonnant la nue. Finalement, toujours dansant, ils se
fondirent en une colonne de fumée qui se dissipa rapidement.
Ils avaient rejoint les sphères
éthérées, fuyant notre monde sublunaire. Mais la mystérieuse
musique continua de dérouler ses arpèges. Les courtisans étaient
toujours en transe, figés comme des statues, les chiens de la meute
royale restaient tranquilles et silencieux, et les faucons immobiles
sur leurs perchoirs. Sur une fenêtre, un papillon, les ailes
accolées, ne bougeait mie.
Bacon leva sa baguette une nouvelle
fois, et voilà que surgit du sol une grande table à tréteaux
chargée de fruits délicieux, pêches et grenades, fraises, abricots
et framboises.
Le moine brandit derechef sa baguette,
suscitant un arc-en-ciel de parfums rares, qui se mêlèrent aux
accords musicaux pour composer un savant bouquet de senteurs
mélodieuses.
Puis le magicien paracheva cette
symphonie de sons, de saveurs et d'odeurs en créant une illusion
s'adressant au sens du toucher, se frayant un chemin à travers la
foule des courtisans fascinés, apparut un groupe de marchands de
Moscovie et du Cathay portant des monceaux de fourrures précieuses -
hermine, zibeline et renard.
Finalement, Bacon rangea sa baguette
dans les plis de son ample vêtement et attendit. Les pelletiers
sortirent, les fruits tremblèrent, s'estompèrent et disparurent.
Les parfums se dissipèrent, et la musique se réduisit à une seule
note qui résonna comme le frêle écho d'une cloche d'argent.
Le roi et son entourage parurent
s'éveiller d'un songe. Les lévriers se mirent sur leurs pattes en
gémissant. Les faucons s'agitèrent sur leurs perchoirs, faisant
tinter les minuscules clochettes fixées à leurs pattes. Sur la
fenêtre, le papillon s'envola.
A ce moment, le messager du roi pénétra
dans la grand'salle en trébuchant et dans un triste état. Il était
crotté jusqu'aux oreilles, son beau surcot tout déchiré et trempé,
et ses élégantes chaussures pointues couvertes de boue. Son cheval
avait soudain pris peur et l'avait emporté dans une course folle à
travers tous les halliers, les bourbiers et les ruisseaux de la
contrée, et il ne décolérait pas. Les dames de la cour
s'écartaient précipitamment sur son passage.
Il se dirigea d'un pas furieux vers
Bacon, marmottant qu'il y avait quelque diablerie là-dessous. Mais
le moine lui dit calmement : « J'étais ici avant vous,
comme je vous l'avais promis. Et je vous ai promis aussi de vous
aider dans vos amours, n'est-il pas vrai ? » Il alla vivement
vers un passage dissimulé par une tenture qu'il écarta d'un geste
brusque.
Sur le seuil se tenait une fille de
cuisine aux formes plantureuses, aux vêtements tachés de graisse,
et toute rouge de confusion. Elle tenait à la main une louche.
La prochaine fois, veillez à ne pas
traiter les savants de menteurs, fit le moine. Il s'inclina devant le
roi et sortit, tandis que s'élevait une tempête de rires, que la
pauvre fille s'empêtrait dans sa révérence, et que le messager
balbutiait de confuses explications sur la présence en ces lieux de
sa dernière et peu reluisante conquête.
Sources: Sorcières et Magiciens de Brendan Lehane
Sources: Sorcières et Magiciens de Brendan Lehane
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