Continuons à comprendre ce que fait la
sorcière :
Bien sûr, elle assure son
irresponsabilité dans tout envoûtement ou autre manifestation
relevant du mauvais sort, de la magie... C'est toujours ''une autre,
loin '', qui est responsable d'un accident ou d'un drame.
Elle, la sorcière, n'est là que pour
« déshanter » une maison, un animal, un champ, un concitoyen ou
encore un outil. On finit par comprendre que la sorcière est
indispensable à la vie d'un ''païs'' comme un mal nécessaire mais
inquiétant.
La sorcière ( ou le sorcier) sait
battre l'eau d'une source ou d'une fontaine avec une baguette de
coudrier pelée '' à l'ongle '', c'est-à-dire pure de tout fer, «
pour faire tomber la grêle dans la direction indiquée par la
baguette ». Il peut obtenir le même résultat en égorgeant une
poule noire au milieu d'un carrefour et en la jetant en l'air. Le bec
ensanglanté de la pauvre bête a la même fonction que la baguette.
La sorcière sait pratiquer
l'envoûtement à distance. C'est pourquoi on brûle avec grand soin
rognures d'ongles et cheveux tombés des ciseaux après les grands
nettoyages saisonniers. Celui du printemps, le plus important, celui
du coeur de l'été et le dernier fin septembre pour la foire de
Saint-Michel, qui draine des dizaines de cantons et de seigneuries
vers les grandes cités pourvues d'un mail et d'un tribunal qui se
déplace parfois pour l'occasion : Limoges...
Personne ne perd de vue qu'une rognure
d'ongle et une pincée de cheveux sournoisement glissées dans une
poupée de glaise ou de cire, dûment chargée de formules secrètes,
permettent de torturer à distance la victime, qui souffre mille
morts lorsque l'opérateur enfonce une aiguille aux endroits voulus
dans la poupée.
Le sorcier sait également utiliser le
pouvoir du '' chevillage '' les cas sont innombrables en Saintonge -,
c'est à dire enfoncer une cheville ou un éclat de bois dans une
fente de porte, de poteau ou dans un nœud de bois ayant quelque
ressemblance avec le sujet visé. Il peut lui faire endurer mille
tourments avant de trouver la '' cheville '' responsable. Évidemment
ce n'est pas lui qui cheville tel ou tel, il ne fait que trouver
l'objet du délit, parfois minuscule, placé par '' l'autre , là-bas
'', et ce n'est déjà pas facile.
Mais enfin, moyennant une juste
récompense... Parfois le chevillage est bénéfique. Un homme qui a
l'âme '' chevillée '' au corps guérit de tout, survit à toutes
les blessures.
En usant de cette expression, plus
personne ne se doute aujourd'hui qu'elle fait référence à la
sorcellerie la plus élaborée.
Il sait également évoquer, créer
même, un loup-garou... ce peut être un enfant enlevé ou perdu par
ses parents dans les bois et élevé par une quelconque nourrice,
femme, louve, chèvre ou vache, pourvu qu'elle ait du lait '' bénit
'' par le sorcier. Dès qu'il sait courir, il chasse avec les loups,
les fouines ou les chiens. Il s'en prend aux hommes égarés ou
attardés la nuit.
Par chez nous, on le nomme '' lo
leberou ''. Les marchands du Poitou le nomme '' Ganipote ''…
et chez eux, se montre souvent farceur, obligeant un homme à le
ramener jusqu'à son antre ou sa cachette en le portant sur ses
épaules, ce qui ne l'empêche pas d'égorger une victime lorsqu'il a
faim. Il dort volontiers dans un buisson de sainbois ; c'est une
variété de daphné aux tiges raides et particulièrement
urticantes. ( Dans la pharmacopée du XIXe siècle, on l'utilise
comme vésicatoire). Le leberou ou loup-garou, peut être, dit-on,
un(e) apprenti sorcier qui prétendait l'être, mais a raté le test
élaboré par le diable... Le leberou terrorise les longues nuits
paysannes. Une des particularités de cette '' bête '' sauvage,
c'est d'infliger des blessures qui sèchent aussitôt sur les bords
mais mettent trois saisons à guérir.
La sorcière que l'on est appelé à
rencontrer dans les lieux écartés, non loin des villages, n'est pas
forcément contrefaite. Elle peut être très belle, et en dehors de
cette lueur inquiétante et sauvage au fond de leur regard cette
marque indélébile de l'exclusion, elles peuvent être aussi
séduisantes que les autres jeunes filles...
Il arrive que grâce à sa beauté
naturelle ou gagnée par les soins de sa maîtresse, une jeune
sorcière séduise et épouse un haut personnage. Si la sorcière est
vieille, elle possède de grandes facilités pour se transformer de
vieille harpie en une flamboyante beauté, mais seulement pour un
temps assez court, qui doit correspondre à celui d'efficacité des
lotions qu'elle sait composer avec les herbes et plantes dont elle
possède une vaste connaissance.
La sorcière ne connaît pas que cela.
C'est la reine du « nouage ». Elle sait « nouer l'aiguillette »
(rendre impuissant) au juste moment où l'effet est le plus
surprenant, le plus efficace, le mariage. En particulier lorsqu'un
riche barbon '' marie '' une jeunesse - les mauvaises langues disent
: « l'achète ».
Faut-il préciser que le dénouage
d'aiguillette ne s'exécute que par personne interposée, en
l'occurrence la sorcière elle-même, pour ôter ce sort venu de plus
loin, plus fort -c'est une opération longue et, chère...
Notre sorcière sait aussi composer des
philtres d'amour, c'est-à-dire des juleps où l'on trouve mêlés de
la fleur de belladone, du venin de vipère, de la cervelle de pigeon
et des crottes de lapin pilées avec de la menthe sauvage et sans
doute d'autres choses aussi...
La sorcière est aussi experte à nouer
et dénouer la « boyasse ». Entendez déclencher une diarrhée
carabinée chez sa victime, généralement préteurs, exempts, petits
hommes de loi.
Elle connaît la formule de la « louhade », cette
pâte souveraine contre la morsure des loups dont la composition est
connue de toutes les campagnes mais que seules savent mitonner «
celles-là qui savent ».
Chiendent, chiendent et
menthe sauvage
Tilleul, sauge et genêt
blanc
Gras d'mouton au feu en
rage
Et saulnie quand tout
est blanc.
La saulnie, c'est le bleu du fromage de
vache charançonné, du bleu d'Auvergne, de la fourme ou du
roquefort... Bien refroidi, bleui, on en fait une pâte souple, sorte
de galette dont on enveloppe la morsure. C'est parfait.
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