Quand il arrive, un grand feu flambe
dans l'âtre et il trouve réunies dans la chambre plusieurs
habitantes du village, silencieuses et affairées,en train de faire
chauffer des couvertures et de préparer une décoction de plantes
dont elles espèrent que l'effet sera salutaire.
Les braves femmes l'entourent quand il
entre dans la pièce où se trouve la femme alitée et lui
fournissent quelques explications en prenant soin de chuchoter.
« Elle a pris froid, et elle
est vieille et fragile », dit l'une d'elles en voulant repousser
l'intrus vers la porte. Mais il l'écarte et s'approche du lit où
gît la malade, dont le corps décharné se devine à peine sous les
couvertures. Son visage livide est creusé par la souffrance et elle
a les yeux fermés.
« Alors, comment vous
sentez-vous, créature du diable:» demanda le ''Chasseur des
collines '' à la vieille mère. Elle ne répond pas, et ses voisines
s'agitent d'un air irrité autour de lui, comme des poules inquiètes
protégeant quelque poussin fragile. Mais l'homme arrache les draps,
dénudant le corps de la vieille femme, pour leur montrer les marques
sanglantes faites par les crocs de ses chiens, et il leur raconte
toute l'histoire.
Quand il a terminé, la malade prend la
parole d'une voix faible et avoue le pacte qu'elle avait conclu et le
mal qu'elle a fait. Elle sent venir la mort et sait que son ''maître
aux pieds fourchus'' s'apprête à venir réclamer son dû.
« Il vous reste encore une voie de
salut », dit le chasseur. Il la lui révèle, puis, ayant
fait son devoir, il se retire. Les commères du village lui emboîtent
le pas, tout effrayées, laissant seule la sorcière à l'article de
la mort.
La suite de l'histoire est racontée
par deux pèlerins voyageurs qui, cette nuit-là, viennent de '' La
Junchéra '' en passant par Saint-Léonard, et rejoignent,
précisément les terres de Roger de Laron ( nous reparlerons de
cette visite…). Les deux hommes se hâtent en tenant le milieu du
chemin.
« Arrêtons-nous un instant
», fait soudain l'un d'eux. Ils font halte, et entendent assez loin
devant eux, à travers le battement de la pluie sur le feuillage, une
plainte déchirante. Et sur le sentier, parmi les ombres nocturnes,
apparaît la silhouette d'une femme vêtue de noir, les cheveux
trempés et maculés de sang. L'air effrayé, elle hésite un instant
en parvenant à leur hauteur, scrutant leurs visages, le souffle
haletant et claquant violemment des dents.
« C'est bien le chemin qui mène au
cimetière de la Junchéra? », demande-t-elle enfin.
« Oui », répond
l'un des deux hommes, et ils se retournent pour regarder l'inconnue
qui, les ayant croisés sans ajouter un mot, se hâte péniblement en
jetant de fréquents regards derrière elle. Elle arrive sur la crête
d'une colline et disparaît à leurs yeux.
Impressionnés, les deux voyageurs se
remettent en route d'un pas plus rapide qu'avant.
Mais, au bout d'un moment, ils font de
nouveau halte sur le bord du chemin. Venant vers eux à vive allure,
voici qu’apparaissent deux grands lévriers noirs. Ils paraissaient
suivre une piste. Ils passent devant les deux hommes en leur
accordant à peine un simple coup d’œil, et ayant suivi le chemin
jusqu'au sommet de la colline, ils disparaissent à leur tour.
Avant que les voyageurs n'aient pu
faire un geste, surgit un cavalier monté sur un cheval noir. Il
s'arrête à leur hauteur et ils voient deux yeux de braise dans
l'ombre du capuchon dissimulant ses traits, tandis que leur parvient
une odeur infecte.
« Est-ce là le chemin menant au
cimetière de la Junchéra, demande l'inconnu d'une voix douce."
« Oui »
« Et une femme ne vous a-t-elle
pas croisés il n'y a pas longtemps ?»
« Si. »
Le cavalier éperonne sa monture, qui
repart au galop en direction de la crête.
Cette fois, les deux hommes, oubliant
leur fatigue, se remettent en route en toute hâte. Ils sont trop
effrayés pour parler ou pour prêter attention à quoi que ce soit.
Le cimetière de la Junchéra d'où
viennent les voyageurs, est réputé dans toute la région. Il est à
deux petits jours de marche, peut-être un seul à cheval, du fief de
Laron …
Après Saint-Martial de Limoges, on dit
que c'est la plus importante église de l'évêque, que celle de La
Junchéra. Il y existe d'ailleurs une « maison des romeux »
(pèlerins), aux Marmiers... Le 23 avril 1305, le
pape Clément V (!) , venant de Bourges et se rendant
à Bordeaux, via Grandmont, a fait halte à La Junchéra, fief
de l’évêque Raynaud de La Porte.
C'est un lieu d'asile pour les vivants,
comme l'est toute terre consacrée. Mais, depuis des siècles il
jouit d'un singulier privilège, il constitue un refuge et une
sauvegarde pour tous les morts récents. Toute âme, quelque noire
qu'elle soit, qui vient de quitter son enveloppe charnelle, se trouve
dans son enceinte à l'abri des griffes de Satan. C'est pourquoi –
lorsque c'est possible - on y transporte directement les
agonisants...
Deux heures se sont écoulées, sans
que les deux hommes se soient accordé un instant de répit, quand
ils entendent derrière eux le cavalier et ses lévriers...
L'inconnu s'arrête à leur hauteur et
leur dit d'un ton satisfait : « Elle était juste a la
porte. Un jeu d'enfants pour les chiens. »
Jeté tel un pantin désarticulé en
travers de sa selle, ses cheveux blancs traînant clans la boue, il y
avait le corps de la sorcière, la ' loba', couvert de sang et
l'échine brisée.
Enfin, arrivés, et avant de rejoindre
le château de Laron, les voyageurs content la chose aux gens de
Laron, où on les écoute avec soulagement. Si le corps leur était
resté, ils auraient du l'enterrer profondément, retourné sur le
ventre, de sorte que si le cadavre s'était remis à creuser comme
cela arrivait parfois, il aurait foui vers le cœur de la terre et
non vers l'air libre.
Le Chasseur des collines a rejoint son
repaire dans la forêt. Il ne se passe plus de nuit désormais où il
n'écoute siffler le vent et ne scrute les ombres se découpant sur
le disque lunaire, redoutant à tout instant la vindicte des sœurs
en sorcellerie de la ''loba''.
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