Concernant la supériorité du conte sur l'information, Benjamin
fournit l'exemple suivant, emprunté aux Histoires d'Hérodote :
« Il s'agit du roi d’Égypte Psamménite. Lorsque celui-ci eut été vaincu et fait prisonnier par le roi des Perses Cambyse, ce dernier résolut d'humilier le captif. Il donna l'ordre de le placer sur le chemin que devait suivre le cortège triomphal des Perses. Et, de plus, il fit en sorte que le prisonnier pût voir sa fille, réduite à l'état de servante, allant à la fontaine avec une cruche. Alors que tous les Egyptiens, à ce spectacle, se plaignaient et se lamentaient, Psamménite seul ne disait mot et restait immobile, les yeux cloués au sol ; et voyant peu après son fils qu'on emmenait au supplice avec le cortège, il ne bougea pas davantage. Mais lorsqu'il reconnut ensuite, dans les rangs des prisonniers, un de ses serviteurs, un vieillard misérable, alors il se frappa la tête avec les poings et présenta tous les signes de la désolation la plus profonde. »Hérodote raconte ; il n'explique pas. Ainsi rapportés, les faits conservent un caractère étonnant, sur quoi le temps n'a pas de prise. L'interprétation demeure ouverte. Chacun de nous, tour à tour, s'y essaiera, à la mesure des raisons que lui dicte son entente propre.
Contrairement à n'importe quelle information, qui « n'a de valeur que dans l'instant où elle est nouvelle, note Benjamin, ce récit venu de l'ancienne Égypte demeure en tout cas encore capable, après des milliers d'années, de nous étonner et de nous donner à réfléchir. Il ressemble à ces graines enfermées hermétiquement pendant des millénaires dans les chambres des pyramides, et qui ont conservé jusqu'à aujourd'hui leur pouvoir germinatif. »
Viktor Vasnetsov - le chevalier à la croisée des chemins - 1882 |
Benjamin ajoute que l'écoute qui permet le processus d'appropriation d'une telle sagesse, exige une disposition mentale spécifique, plus exactement « un état de détente qui devient de plus en plus rare ». De façon paradoxale, Benjamin invoque ici la vertu de l'ennui. L'ennui, dit-il, est « l'oiseau de rêve qui couve l'oeuf de l'expérience. »
« L'art de raconter des histoires est toujours l'art de reprendre celles qu'on a entendues, et celui-ci se perd, dès lors que les histoires ne sont plus conservées en mémoire. »
Adapté au contexte intimiste qui est celui du travail artisanal et des veillées paysannes, le récit demeure, dit Benjamin, « une forme artisanale de la communication ».
Semblablement au potier qui « laisse sur la coupe d'argile l'empreinte de ses mains », le conteur imprime à son récit la marque, chaque fois différente, de l'ici et du maintenant.
Il replace, par exemple, le récit, dans le cadre de la nuit et du moment à la faveur desquels il entreprend de raconter, ou bien il se présente lui-même comme quelqu'un à qui, dans une autre situation de la vie, l'histoire qu'il raconte a été précédemment rapportée.
A suivre ...
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