jeudi 14 août 2014

Accueillir la mort - Etty Hillesum

La vie et la mort, la souffrance et la joie, les ampoules des pieds meurtris, le jasmin derrière la maison, les persécutions, les atrocités sans nombre, tout, tout est en moi et forme un ensemble puissant; je l’accepte comme un totalité indivisible et je commence à comprendre de mieux en mieux pour mon propre usage, sans pouvoir encore l’expliquer à d’autres, la logique de cette totalité; je voudrais vivre longtemps pour être un jour en mesure de l’expliquer…

Accueillir la mort, en disant : ''j'ai réglé mes comptes avec la vie'', je veux dire : l'éventualité de la mort est intégrée à ma vie ; car regarder la mort en face et l'accepter comme partie intégrante de la vie, c'est élargir cette vie.
À l'inverse, sacrifier dès maintenant à la mort un morceau de cette vie, par peur de la mort et refus de l'accepter, c'est le meilleur moyen de ne garder qu'un pauvre petit bout de vie mutilée, méritant à peine le nom de vie.
Cela semble un paradoxe : en excluant la mort de sa vie, on se prive d'une vie complète, et en l'y accueillant, on élargit et enrichit sa vie.


Une fois, c'est un Hitler, une autre fois un Ivan le Terrible, par exemple, une fois, c'est la résignation, une autre fois, les guerres, la peste, les tremblements de terre, la famine. Les instruments de la souffrance importent peu, ce qui compte, c'est la façon de porter, de supporter, d'assumer une souffrance consubstantielle à la vie et de conserver intact à travers les épreuves un morceau de son âme.

Extrait du journal d’Etty Hillesum « Une vie bouleversée », écrit peu de temps avant son exécution à Auschwitz.

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