Comment « croire » aux fées
dans un monde dont le système de référence, rationaliste, ne leur
permet pas d'exister ?
« Croire », c'est s’écarter
de critères qui relèvent de la raison, des sens : voir,
toucher, raisonner, expérimenter... tout ce qui appartient à des
activités humaines dans un système qui ne tient compte que de ce
qui est matériel, humain et dans le cadre de ses connaissances
actuelles ...etc.
Dans ce système, beaucoup de choses
sont à écarter, en particulier la transcendance, la relation au
sacré … et sans doute, la compréhension des mythes, et des contes
traditionnels...
Au Moyen-âge, les enfants ne sont pas
les seuls à « croire » aux fées. « Croire »,
c'est alors : prendre au sérieux, reconnaître l'influence, la
prégnance, d'un ensemble de faits, d'êtres, sur lesquels il n'est
pas aisé de mettre des mots pour en partager l'expérience. La
convention partagée, est d'en parler au travers d'histoires (
contes, légendes, mythes …).
Dans un univers mental, aujourd'hui
entièrement étranger au nôtre, la question posée par ces figures
« fantastiques et ambiguës », est moins celle de leur
« existence » que celle de leur signification.... Si
elles signifient quelque chose, n'est-il pas absurde de nier leur
« existence »... ?
Il est d'ailleurs intéressant de
constater la place qu'attribue la religion chrétienne, à ces
figures païennes … ! Elle ne leur dénie pas une réalité
surnaturelle, mais elle modifie leur interprétation. A côté d'un
surnaturel orthodoxe ( les miracles, les pièges du démon, …), il
existe un surnaturel problématique dont font partie les fées ….
Exemple :
A la fin du XIIe s., Marie de France
dit recueillir dans ses lais des contes bretons qu'elle fait remonter
à un passé mythique.
Dans le lai d'Yonec, une jeune
femme a été mariée contre son gré à un vieillard jaloux qui la
tient en prison. Un jour de printemps, elle évoque d'antiques
croyances selon lesquelles, autrefois, « les chevaliers
trouvaient les femmes de leurs rêves, nobles et belles, et les dames
trouvaient des amants, preux et vaillants, sans encourir le moindre
blâme, car elles étaient les seules à les voir ». Elle
supplie Dieu de lui envoyer un de ces amants merveilleux, et Dieu,
compatissant, exauce son vœu. Un grand oiseau vole jusqu'à sa
fenêtre et, dans sa chambre, se transforme en un beau chevalier qui
sollicite son amour. La dame, d'abord terrorisée, consent à
l'aimer, s'il est bon chrétien. Aussitôt dit, aussitôt fait :
le chevalier-oiseau se métamorphose pour revêtir l’apparence de
la dame et recevoir la communion à sa place : celle-ci,
rassurée se donne à lui. On reconnaît ici une version du conte de
l'Oiseau bleu. Mais l'originalité du récit de Marie de France
réside dans cette réaction de la dame, qui n'est nullement rebutée
par la nature animale de son soupirant mais craint par-dessus tout de
tomber dans un piège du démon : il suffit au chevalier-oiseau
de prouver qu'il est bon chrétien pour vaincre sa réticence.
La fée Viviane et Merlin par G Doré |
Au Moyen-âge, le surnaturel apparaît :
- Avec Dieu, et son intervention :
le miracle...
- Avec la magie, le surnaturel
satanique et la sorcellerie...
- Avec ce qui regroupe toutes les
« merveilles » : le merveilleux ( de miror =
s'étonner ) et ses êtres fantastiques ( fées, lutins, ogres,
monstres…) . Cela suscite d'ailleurs une certaine incompréhension,
et donc une inquiétude … L'interrogation porte sur
l'interprétation de la merveille …. L'interrogation ne porte pas
sur la réalité de la merveille, que nul ne met en doute, mais sur
son sens : à quel registre de la transcendance relier le
phénomène ? Où situer les fées qui n’appartiennent ni à
Dieu ni au diable ?
ps: L'Oiseau bleu est un conte de fées français en prose de Marie-Catherine d'Aulnoy, publié en 1697 et racontant l'histoire d'amour de la princesse Florine et du roi Charmant, transformé en oiseau bleu. Ce conte est contemporain des contes de Perrault.
Sources : Laurence
Harf-Lancner, Le Monde des fées dans l’Occident médiéval,
Paris, Hachette (« Littératures »), 2003
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